V’là aut’chose

« Ça avait commencé par une brève laconique sur les radios généralistes pendant la trêve des confiseurs. Quelque chose comme une nouvelle épidémie partie d’un marché en Chine, le genre de dépêche AFP que les stagiaires d’astreinte casent faute de mieux dans ce no-news-land cadastré entre Noël et le Nouvel An. Les commentaires et reportages ne sont arrivés qu’après, en janvier, oscillant entre optimisme, gausserie et inquiétude pour finalement s’adjuger progressivement le monopole des sujets d’information. La première alerte sérieuse fut l’annulation du dernier jour du salon de l’agriculture, le 1er mars 2020. Stilic Force dont l’équipe de choc avait été mandatée par la société des pommes de terre Pompadour pour y créer un stand 100% palettes dût modifier son planning de démontage avec en prime la récupération de 100 kilos de patates, invendus fatals du dernier jour annulé. De quoi tenir un confinement. Et puis deux semaines plus tard, cette sidérante assignation à domicile, mais moins sidérante que la vitesse avec laquelle les Français ont accepté, la peur aidant, de renoncer brutalement à leurs libertés individuelles, se transformant en figurants dans un film de science-fiction, renouant pour l’occasion avec leurs passions dévorantes : la transgression des règles et la délation, délation enrobée d’une moraline, et qui n’est pas sans rappeler que les gens sont portés à justifier les affronts dont ils ne se vengent pas. Ceux qui se crûrent les plus chanceux s’exfiltrèrent dans leur résidence secondaire, mais payèrent souvent l’esprit grégaire qui les avait fait choisir celle-ci au même endroit que tout le monde, rendant la maréchaussée sourcilleuse puis punitive. Ils se trouvèrent alors confinés pour deux mois dans des sortes de prisons à ciel ouvert, soumis avec l’extrême proximité de la plage ou de la montagne au supplice de Tantale, réalisant à quel point leur investissement était intrinsèquement douteux. Sans parler des faibles qualités de leurs habitations aux minces propriétés telluriques et aux meubles qui n’ont pas d’histoire à raconter, si ce n’est celle du jour où on alla chez Ikea fièrement les acquérir, passant sous silence le pénible montage qui s’en suivit.

En un siècle, l’Occident avait exploré les deux façons de se muter en enfer : considérer que le prix de la vie est nul, comme ce fut le cas lors de la première guerre mondiale, ou considérer que le prix de la vie est infini comme dans cette première guerre sanitaire. Mais une société où l’on fixe ainsi la durée de la vie au-dessus de sa qualité est-elle souhaitable, ou même morale, sur une planète déjà ployant sous le poids d’un Anthropocène monstrueux ? Au nom de la préservation maladive de la vie humaine on vit mourir des citoyens hors d’âge après quatre semaines de solitude absolue. Au nom de la préservation maladive de la vie humaine on confina les pauvres dans des logements exigus et hostiles, garantissant la contagion de leurs proches; au nom de la préservation maladive de la vie humaine on transforma de vaillants entrepreneurs en mendiants de subventions fantoches. Au nom de la préservation maladive de la vie humaine on suspendit la Boutique du Futur et une kyrielle de commerces honnêtes, sympathiques mais fragiles, signant un chèque en blanc aux hypers. Au nom de la préservation maladive de la vie humaine on puisa dans le tonneau de la dette, on mit Hippocrate au pouvoir, on fabriqua des obèses et des dépressifs. Pour éviter un risque on prit des risques énormes. Pour la santé des Français, on oublia la santé de la France.

De leur côté, les assureurs se mirent à regretter le temps où leur métier consistait fondamentalement à décorer les agences, encaisser des primes et mettre leur nom sur des voiliers de

compétition. Promptement ils firent disparaître des écrans les films de propagande où l’on voyait un assureur propret venir à la rescousse d’un plombier à l’activité bloquée par la panne de sa Kangoo. Bien sûr, leurs pages de garde affichaient des messages de circonstance mais personne de fut dupe, ni d’ailleurs n’avait vraiment lu les petites lignes des contrats stipulant l’exclusion de toute garantie, comme cette clause rendant caduque certaines assurances décès des malades bêtement morts… à l’hôpital.

Dans l’excitation du moment, beaucoup avaient parlé d’un nouveau monde, d’un reset de l’humanité, d’un effondrement qui donneraient aux Français l’envie de se lancer à la découverte de la nature, mais finalement on réalisait qu’une fois ouverte la porte de la cage ils se précipiteraient en SUV chez… Nature et Découvertes en faisant au passage le plein de diesel à bon compte pour mieux patienter dans le drive du MacDo. Il ne manquait plus qu’un documentaire de Yann Arhus Bertrand, « La France libérée des humains polluants », filmé depuis son hélicoptère. Les divas du dancing étaient devenues les sangsues du divan. Au prétexte de télétravail tout le monde s’était mis à travailler devant la télé. Dans les moments d’angoisse on pouvait entendre « Bayer, Monsato, Sanofi, Pfeizer ! On retire tout ce que l’on a dit, débarrassez-nous de cette merde ! ». Les pires altermondialistes furent prêts à donner l’absolution à toute multinationale capable d’éloigner le danger. De son côté la CGT fit condamner Amazon pour vente d’articles n’étant pas de première nécessité. On attendait la réponse d’Amazon indiquant que la CGT n’était pas un syndicat de première nécessité, mais elle ne vint pas. Ces multinationales sont d’un décevant parfois, s’était-on dit.

Au début, chacun avait eu peur d’attraper le virus couronné, mais au fur et à mesure que les cas se déclaraient dans l’entourage et que les malades énuméraient avec plus ou moins de talent leurs différents symptômes, attraper le Covid-19 devint pour certains un rite initiatique, un nouveau dépucelage. Presque désiré. Avec à la clef le graal d’une possible immunité. Qui aurait pu imaginer dans les années 80 qu’un jour les citoyens rêveraient de devenir séropositif ? Hélas ce fut un épiphénomène et c’est plutôt une vague hygiéniste qui déferla sur la France, mettant nos systèmes immunitaires au chômage. De leur côté les journaux à sensation se mirent à recueillir les propos édifiants des people frappés par le virus, une sorte de Covid-out. Christophe n’eut hélas pas la chance de se répandre, ayant prononcé son dernier mot bleu, sans que l’on sache si son décès fut vraiment lié à la maladie en vogue.

On fêta Pâques, 2000 ans après que Ponce Pilate, ce visionnaire, s’en soit lavé les mains dans un élan prophétique, inventant le premier geste barrière de l’Histoire, mais tout le monde s’entendait sur un point en cachant les œufs dans la cuvette des toilettes : « À Pâques cette année il y a quelque chose qui cloche ». À ce moment, on confinait un milliard d’Indiens, pendant que Trump refusait de confiner les cowboys. Dans cette même Amérique, Bill Gates qui n’avait jamais vraiment réussi à résoudre les problèmes de virus dans ses logiciels se mit à nous donner des leçons pour éradiquer celui menaçant les corps humains, aux algorithmes autrement plus complexe. Charles de Gaulle, réincarné en porte- avion, montra du fond de ses entrailles une analyse statistique implacable de la contagiosité et de la mortalité réelle de l’ennemi, une fois de plus.

Génie incompris pour les uns, imposteur parvenu pour les autres, le Professeur Raoult, un gilet jaune en blouse blanche, tonnait depuis sa provençale province. Le phénomène qui sous-tendait sa popularité grandissante n’était pas tant les effets supposés de sa potion magique, mais plus sûrement l’espoir diffus dans la société que face à la sensiblerie du Léviathan technocratique, le génie français incarné tour à tour par le druide Panoramix et par Louis Pasteur ne soit pas tout à fait mort. L’élite française officielle, en particulier celle du ministère, avait toujours vanté le mérite des gens qui pensent out of the box, à condition qu’ils veuillent bien rester in the box.

En attendant ce nouveau monde dont de multiples graphomanes repus prédisaient l’avènement tout proche, c’est surtout l’ancien et sa palanquée de brimborions numériques qui prirent le contrôle de nos journées. Ainsi, toute l’économie de temps induite par l’absence de transports fut-elle immédiatement absorbée par d’interminables problèmes de connexion faisant apparaitre au grand jour les contradictions inhérentes au concept prétentieux de « haute technologie ». Conjointement, et à leur grande stupeur, la plupart des citoyens occidentaux se rendirent compte que leur activité salariée était au mieux improductive, au pire exactement contraire aux intérêts objectifs de la société. Ils se lancèrent parfois dans de multiples activités de bienfaisance bénévole pour mieux expier la malfaisance de leurs carrières copieusement tarifées. Les cartes rebattues feraient disparaitre le plus possiblement l’open-space et exhumeraient l’hygiaphone. La planète pourrait souffler un peu.

Hasard du calendrier, vint le jour des 25 ans de Stilic Force, le 9 mai 2020. Intéressante synchronicité quand on sait qu’en mai 1995, tout le monde se foutait complètement de la fabrication locale et qu’en ce printemps 2020 la majorité avait compris que cette usine à gaz de la production lointaine comportait des risques qu’aucun cabinet de consulting, malgré de nombreuses études verbeuses et coûteuses, n’avait identifiés. Le masque autoproduit fut cette étincelle qui mit le feu aux poudres. D’abord évincé car jugé inutile au regard des normes officielles, puis pressenti comme obligatoire (et qu’en définitive les citoyens ne porteraient pas). On découvrit l’extrême dépendance vis à vis de l’industrie chinoise pour un effet pourtant très élémentaire. Dans un mouvement presque joyeux on vit des machines à coudre sortir des caves, et former de bric et de broc des ateliers ou le citoyen occidental se rendit compte que ces deux mains ornant ses bras avaient un pouvoir autrement plus fort que celui de faire glisser des doigts sur un écran. On remercia Covid pour la leçon. Il aura attiré l’attention sur deux espèces en voie de disparition : le pangolin et l’ouvrier français, sans que l’on sache encore si les valeureux magasins de proximité, vertueux par nature, pourraient s’ajouter à la liste de ces rescapés.» trub@stilic.com

À écouter en confinement !

8 juin 1978. Devant le parterre médusé des étudiants de Harvard en complet uniforme de diplômés, le dissident soviétique Alexandre Soljenitsyne prononce pendant environ une heure ce que l’on finira par considérer comme le plus important discours du 20e siècle, mais hélas le plus méconnu. Au début appelé « le discours de Harvard » puis prenant progressivement le nom de « Le déclin du courage », il trace un vaste panorama du monde de ces années-là, et prend à revers l’intelligentsia américaine en émettant une critique sévère sur le manque de « santé interne » des États-Unis en tant que société, et plus surprenant encore en pointant le fait que l’armée américaine aurait manqué de courage dans son combat au Vietnam. Bref l’Amérique, pensant donner la parole à un ennemi accompli de l’URSS, découvre un discours capitalisto- sceptique, plein de subtilité et de paradoxes. Non qu’il y fasse l’apologie de l’Union Soviétique alors aux mains du terrible Brejnev, mais il pointe avec sagacité les fragilités des sociétés occidentales, que l’on peut percevoir aujourd’hui. Attention c’est

cruel. À écouter ici : https://youtu.be/WV-xxdPwpiA

À lire : (Re)Made in France

Pionnier du retour du jean fabriqué en France, le fondateur de 1083, Thomas Huriez raconte son aventure dans le livre sus- cité (paru chez Dunod). On pourrait croire à une pénible litanie de storytelling, mais pas du tout, l’homme est plein de bon sens et d’un certain côté il a tout pigé. D’ailleurs il a été une des premières marques françaises à proposer des masques. Logique : il a la main sur le robinet productif, et ne l’a pas volé.

Le salon Maison&OFFjet de Montrouge

Retrouvez ici le film officiel de ce salon off qui a eu lieu dans les locaux de Stilic Force et auxquels certains d’entre vous n’ont pas pu se rendre. https://www.youtube.com/watch?v=1xapX9isZRg

Quart de siècle !

Il y a 25 ans Stilic Force était fondée dans un petit studio de la Nationale 20 à Montrouge. Des festivités étaient prévues ce 9 mai, mais figurez-vous que… ben… on va trouver une autre date. Pour fêter ça sans contact voici notre site internet remis à jour : www.stilicforce.fr. Comptez sur votre marque favorite pour créer tout un tas d’objets sur le thème Covid, parfois à la limite du bon goût sans toutefois jamais y tomber.

PS : Si vous voulez réaliser un site simple et efficace par un spécialiste compétent, sympathique et raisonnable, demandez à Pierre Ballif qui a fondé www.amplitude360.fr. Stilic Force l’exploite comme photographe puis webmaster depuis 1998 et c’est du sérieux.

En bref

Le fondateur de Stilic Force, coordinateur du programme écologique de la liste de Juliette Méadel pour Montrouge était soumis à son premier suffrage universel le 15 mars dernier… La liste DemainMontrouge (26,22%) est arrivée deuxième avec un ballotage ou rebelotte prévu pour le ../../202. Il va donc falloir attendre pour voir une femme à la tête de Montrouge, ce n’était pas arrivé depuis… 4.54 milliards d’années.

C’est du... Cinéma

Stilic Force a participé aux décors du film « Mauvaise Blague » le premier court métrage du très jeune et très talentueux Matteo La Capria. Saluons ici cette jeune équipe qui a financé participativement son film sur le web et qui a su convaincre feu Christophe d’en composer la musique. À suivre.

Point d’orgue de notre intervention déco, cet effet « Split-screen » réalisé en réel, avec ici Claire Nebout… à voir très bientôt, on ne sait pas encore sur quels écrans. Si vous regardez bien le film vous reconnaitrez peut-être notre rédacteur en chef dans le rôle… d’un bourreau !!